La triple erreur du gouvernement qui tarde à interdire le plastique à usage unique.

The SeaCleaners - La loi anti-gaspillage et économie circulaire
The SeaCleaners - La loi anti-gaspillage et économie circulaire

Par Yvan BOURGNON, Navigateur, Président-Fondateur de The SeaCleaners

La Chine vient d’annoncer, sans préavis, qu’elle allait interdire de nombreux plastiques à usage unique d’ici à 2025. Et que, dès la fin de l’année 2020, les sacs et les pailles non réutilisables seront totalement bannis dans les grandes villes du pays. Il s’agit de la première mesure sérieuse pour s’attaquer au problème des déchets à la source dans un pays qui reste le premier producteur et consommateur de plastique au monde.

La radicalité de cette mesure et la vitesse à laquelle elle va être mise en œuvre impressionnent. Et je ne peux m’empêcher de mettre cette « révolution chinoise » en parallèle avec la timidité du gouvernement français sur le sujet des plastiques à usage unique.

La loi anti-gaspillage et économie circulaire, qui vient d’être adoptée par les députés, prévoit en effet l’interdiction de mise sur le marché des plastiques à usage unique d’ici 2040. 2040 ! Soit deux générations… Peut-on imaginer un message plus démobilisant, face à une situation aussi urgente que celle de la pollution plastique ?

Je parcours les océans depuis l’âge de huit ans. Au fil des années, j’ai vu leurs surfaces se recouvrir de déchets flottants, inexorablement. Je mesure à quel point cette gangrène se répand, tuant des écosystèmes entiers, menaçant des milliers d’espèces vivantes, enlaidissant irrémédiablement des zones côtières autrefois préservées. Notre alimentation elle-même est menacée, puisque ce plastique finit par se fragmenter, devient microplastique, irrécupérable, et entre dans notre chaîne alimentaire. Le WWF estime qu’un adulte ingère en moyenne cinq grammes de plastique par semaine, soit l’équivalent d’une carte bancaire ! Et, en 2050, sous l’effet mécanique de la croissance démographique, les projections montrent qu’il y aura autant de plastique que de poissons dans l’océan.

Ce constat n’est pas nouveau. Le signal d’alarme a été tiré avec force il y a plus de vingt ans, aussi bien par les experts scientifiques que par les observateurs des milieux marins dont je fais partie. Contrairement à la lutte contre le réchauffement climatique, qui souffre de l’inertie imposée par les climatosceptiques, personne ne se réclame d’un quelconque « plastico-scepticisme ». Personne ne remet en cause cette réalité. Les sources de cette pollution sont clairement identifiées : 80% des déchets plastiques proviennent des terres via les fleuves et les rivières. Et les remèdes font l’unanimité : agir en mer et à terre, mener des actions préventives et des actions correctives de front.

Devant un tel unanimisme, comment justifier que nos dirigeants politiques aient décidé qu’il était urgent d’attendre pour agir ? Bien sûr, les processus démocratiques en Chine et en France divergent et expliquent que les changements sont plus lents à se faire dans l’Hexagone que dans l’Empire du Milieu. Mais un peu de radicalité sur ce sujet aurait été bienvenue.

Le gouvernement français, à mon sens, a commis une triple erreur en repoussant à 2040 l’interdiction des plastiques à usage unique.

La première est d’ignorer la force du symbole. Comment peut-on sérieusement parler de « signal très fort et concret » envoyé à nos partenaires européens et au reste du monde, en prônant la mise en place d’une mesure de manière tellement progressive, qu’elle ressemble furieusement à de l’immobilisme ? Comment encourager les consommateurs à modifier leurs habitudes et les industriels à repenser leurs modes de production tout en laissant entendre qu’en matière de transition écologique, on n’est finalement pas à vingt ans près ? Et qu’une génération entière peut encore continuer à grandir en produisant des déchets plastiques, dont seuls 40% sont recyclés ou incinérés, le reste étant enfoui dans les décharges ou dispersé dans la nature ? Se gargariser de l’adoption d’une mesure dont l’application est aussitôt reportée aux calendes grecques, c’est perdre en crédibilité et s’exposer au procès en tartufferie.

La seconde erreur est de sous-estimer la capacité des décisions politiques à influer sur les processus de production industriels. Certes, l’industrie du plastique n’aurait pas pu mettre en œuvre une telle mesure en trois ans. Certes, la brutalité ne fonctionne pas et peut être contre-productive. Mais une application à l’horizon 2030 était tout à fait réaliste et envisageable. Les domaines de l’écoconception et de la science des matériaux sont suffisamment avancés pour que, dans moins de dix ans, les industriels puissent être en ordre de bataille. Les solutions alternatives aux plastiques existent, les produits de substitution ont été testés, les circuits d’approvisionnement et les processus de fabrication sont connus, les impacts environnementaux de ces remplacements ont fait l’objet d’études approfondies. Le calendrier pouvait donc être resserré, le système n’étant pas si impréparé au « zéro plastique jetable » que cela a été dit. De grands groupes ont déjà franchi le pas et s’emparent d’un avantage concurrentiel pour séduire une opinion publique et des consommateurs toujours plus sensibilisés et impatients d’arriver à la mise hors circulation des emballages plastiques. On assiste donc à ce paradoxe d’une volonté politique plus lente à agir au service de l’intérêt général que ne le sont les intérêts privés !

Yvan

Troisième et dernière erreur, celle d’ignorer que le vrai drame de la pollution plastique ne se joue pas en France, ni même en Europe, mais dans les économies émergentes. On le sait, la bataille de la pollution plastique en mer se gagnera sur terre. Et c’est en Asie du Sud-Est, en Afrique et en Amérique du Sud qu’il faut concentrer nos efforts. 80% de la pollution plastique océanique provient de ces trois zones. Des régions où il n’existe pas ou peu de systèmes de collecte des déchets, de tri sélectif et de recyclage, où l’industrie n’est pas encouragée à se tourner vers des produits alternatifs, et où la sensibilisation des populations est encore embryonnaire. Des zones où tout reste à faire et que toute la communauté internationale doit accompagner urgemment dans la transition écologique. Pour donner une comparaison : la France rejette 6000 tonnes de plastique par an à la mer, pendant que la Chine, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam, à eux seuls, rejettent chaque année plus de quatre millions de tonnes de plastique dans les mers du monde, soit près de la moitié du total des rejets !

Enlevons nos œillères, regardons au-delà de notre pré carré !

Le projet de loi anti-gaspillage, pour être réellement pionnier et exemplaire aux yeux du monde, ainsi qu’il en affiche l’ambition, aurait dû contenir un volet entièrement consacré à l’aide au développement de la France.

L’Europe n’est pas en reste : le « Green Deal » européen, présenté il y a quelques semaines par la Présidente de la Commission Ursula Van der Leyen, aurait dû prioritairement muscler la politique de coopération internationale de l’Europe sur ces sujets, au lieu de la réduire à la portion congrue.

Aujourd’hui, ce sont essentiellement les ONG et les initiatives privées qui s’engagent dans les pays fortement impactés par la pollution plastique, en attendant que la communauté internationale prenne réellement la mesure du danger et s’empare du problème.

Un attentisme incompréhensible quand on sait que l’océan produit la moitié de l’oxygène que nous respirons, qu’il absorbe un tiers des émissions carbone que nous émettons. Et qu’un milliard de personnes dans le monde ne se nourrit que des produits de la mer.

Les vœux pieux et la volonté de mener le combat à domicile ne suffiront pas à enrayer la catastrophe écologique majeure qui guette. On peut même dire que c’est se tromper de combat !

Seule une action coordonnée, et les efforts conjoints de toutes les bonnes volontés, sur tous les fronts, permettront de répondre durablement à l’enjeu majeur de la pollution plastique. L’échec de la COP25 a matérialisé l’absence de volonté des grandes puissances mondiales d’agir pour enrayer la crise du réchauffement climatique. Il a marqué le divorce total entre des dirigeants politiques paralysés par l’inertie du système et soumis à la loi de grands industriels et l’urgence pointée par les scientifiques du monde entier et les demandes des citoyens dans la rue de plus en plus inquiets pour leur avenir.

En juin 2020, Lisbonne accueillera la Conférence de l’ONU pour les Océans. Un nouveau rendez-vous, qui suscitera de nouveaux espoirs, auquel The SeaCleaners participera pour rappeler l’urgence d’agir vite et puissamment.

Un chiffre pour conclure : quatre-vingts tonnes.

C’est la quantité de déchets plastiques qui s’est déversée dans les océans pendant que vous lisiez cette tribune. Quatre-vingts tonnes soit l’équivalent de six camions-poubelles. Un camion de quinze tonnes toutes les minutes. Deux cent cinquante kilos chaque seconde. Alors ? On commence quand à agir ?

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